Le jardin mouillé
La croisée est ouverte; il pleut
Comme minutieusement,
A petit bruit et peu à peu,
Sur le jardin frais et dormant.
Feuille à feuille, la pluie éveille
L'arbre poudreux qu'elle verdit;
Au mur, on dirait que la treille
S'étire d'un geste engourdi.
L'herbe frémit, le gravier tiède
Crépite et l'on croirait là-bas
Entendre sur le sable et l'herbe
Comme d'imperceptibles pas.
Le jardin chuchote et trésaille,
Furtif et confidentiel;
L'averse semble maille à maille
Tisser la terre avec le ciel.
Il pleut, et les yeux clos, j'écoute,
De toute sa pluie à la fois,
Le jardin mouillé qui s'égoutte
Dans l'ombre que j'ai faite en moi.
Henri de Régnier
La sieste
Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Aux velours sombre et doux des mousses d'émeraude.
Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.
Vers la gaze de feu que trament les rayons,
Vole le frêle essaim de riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves;
Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans^les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.
José Maria De Hérédia
Le jardinier
Le jardinier a déposé sa bêche,
Il a frotté ses mains pleines de terre,
Puis est passé près des roses trémières
Pour se cueillir une pesante pêche.
Il a mordu dedans à pleines dents,
Et le jus a coulé dans la lumière
Sur son menton encore mouillé
De sueur chaude mélée de poussière.
Il a levé son front clair vers le ciel
Tout bleu sur le toit rouge des maisons
Et il a vu la dernière hirondelle
Faire des noeuds autour de son pignon.
Longtemps, il a regardé l'horizon ;
Il a jeté le noyau de la pêche,
S'est essuyé de la main le menton,
Puis, souriant, il a repris sa bêche.
Maurice Carême
Après trois ans
Ayant poussé la porte troite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.
Rien n'a changé... J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin
Et le vieux saule tremble sa plainte sempiternelle.
Les roses comme avant palpitent; comme avant,
Les grands lys orgueilleux se balancent au vent,
Chaque alouette qui va et vient m'est connue.
Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.
Paul Verlaine
Jardins
J'en ai vu des jaunes, des verts,
Des rouges, des mauves, des bleus,
J'en ai vu qui béaient aux cieux,
Fleurs ouvertes comme des yeux.
J'en ai même vu des mouillés
Entre des murs de prieuré,
Quelquefois des mystérieux
Se cachant derrière des grilles,
Et puis des ronds comme des billes,
D'autres carrés, d'autres tracés
Comme à l'équerre et compassés,
D'autres qui arboraient des paons
Ainsi que des drapeaux vivants,
Et d'autres enfin, combien d'autres,
Bien plus humains que les humains
Et qui, cependant, n'étaient rien,
Non, rien d'autre que des jardins.
Maurice Carême
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